ATD Quart Monde

Le Christ continue d'être, pour l'éternité, le Christ crucifié, aux pieds et aux mains troués, parce qu'Il continue d'être en agonie tant que les plus petits des siens continuent d'être bafoués.
P. Joseph Wresinski




Je traverse la France en son coeur, du Périgord noir jusqu'en Brie, j'arrive tard le soir, je suis attendue à Champeaux, la ferme d'ATD jeunesse, pour une semaine de théâtre d'écoute.
Waouh.
Les deux premiers jours sont périlleux. Je n'ai rien digéré des derniers aurevoirs, tout ce qu'ils soulèvent de sentiments mélangés, joie intense des rencontres qui tracent ce sabbat, mélancolie d'une route à reprendre sans demi-tour...
Tout va très vite. C'est sans transition du Sud touristique au quart-monde.
Aujourd'hui 35 visages nouveaux s'épient et s'attendent pour construire un groupe, et je n'en ai aucune envie. Je suis fatiguée, fermée, et pleine d'à priori.
J'attendais de trouver des volontaires permanents ATD pour partager fièrement nos engagements, et je trouve plutôt des jeunes ados quasi illettrés à l'humour et le style juste assez vulgaires pour aller m'isoler. On mange des boîtes de cassoulet de la communauté européenne (celles que je donnais au chat de la Carizière, de notre immense et lumineuse cuisine...), je fais la fine bouche. Je me découvre expérimentant une "pauvreté", pas si nouvelle, mais surtout que je n'attendais pas. Comme celle qui nous renferme par surprise dans nos murs à tous coins de rue. C'est terrible. je suis distante, discriminante, tout simplement pas accueillante et je ne peux pas faire plus.
Mmh. L'exclusion ne commence nulle part ailleurs que dans mon coeur. Ces barrières intérieures, toujours prêtes à l'assaut, je n'ai jamais fini de veiller sur elles.
Qu'il est loin devant nous Son accueil inconditionnel... Son visage comme un miroir de la Beauté de chaque homme croisé.

Pendant les ateliers, les jeunes gloussent irrespectueusement, je boue de voir les animatrices persister à prendre en compte leurs expressions stupides au lieu de les sortir du groupe!
J'étais juste en train de découvrir le coeur d'ATD... Et le sens de ce chantier.

En 1956 quand Père Joseph entre dans le camp des Sans-logis à Noisy le Grand, il découvre ce qui deviendra son "peuple", 252 familles vivant dans une misère extrême. Vous devez vous souvenir comme moi ado, de ces bébés morts de froid dans le film Hiver 54; c'était là.

Convaincu que la misère ne doit pas être gérée mais éradiquée, ATD mène depuis 50 ans un combat fou, si infiniment méticuleux, qu'aucune politique, peut-être aucune société n'osent envisager. Je suis très impressionnée.
C'est très simple. Eradiquer la misère, ça veut dire l'étudier, la connaître; comme une science. Dont les meilleurs universitaires sont ceux qui la vivent.
Redonner à chaque homme l'accès à tous ses droits fondamentaux, ça veut dire permettre d'abord l'expression.
D'où le fourmillement impressionnant d'actions culturelles, menées par ATD pour ouvrir la voix des plus pauvres, des exclus, pour "faire monter à ces familles les marches de l'Elysée, du Vatican, de l'ONU..." (P. Joseph, 1956)
Avec ATD, enfin le mot "politique" m'intéresse et prend du sens.



Le théâtre de l'écoute (Teatro de la Escucha, méthode théâtrale née en Espagne) est précisément un outil de libération, de "promotion", au sens de favoriser l'expression de la réalité d'un être, comme vérité fondamentale.
Un théâtre qui veut justifier la communication dans l'écoute, comme une recherche de vérité. Cela paraît accessoire, ludique, mais cet exercice théâtral devient alors cruciale, comme humainement nécessaire au changement, au Nouveau. ça me plait.
Les exercices nous apprennent la plupart du temps à dialoguer, respecter les limites de l'autre, avec son corps, avec tous ses sens. 
Le 3eme jour, je ne sais pas bien l'expliquer, le groupe m'ouvre. Ce sont ces jeunes insupportables qui s'invitent à moi avec une simplicité, une honnêteté, un non-jugement (sur moi) qui me désarment. Ils me font rire et me surpassent largement de leur intelligence de l'accueil... Une fois de plus, c'est l"'apparemment plus plauvre" qui m'accueille et me réconcilie.
Grâce à cette écoute inspirée par la Escucha, grâce au jeu, grâce à notre diversité caricaturale!... en moins d'une semaine, nous formons un corps. C'est fou. Ces polonais de tous âges, ces jeunes belges, suisses en réinsertion, ces volontaires militants, Michel le prêtre, moi qui paraît presque bourgeoise...
Mais P. Joseph le sait parfaitement:
Tout est né d’une vie partagée, jamais d’une théorie. La communion est la vie partagée. 
Le dernier jour, nous montons les marches du Trocadero, pour jouer notre flash-mob, monté bien ensemble. Nous exprimons ensemble une situation d'injustice (l'arrivée de sans-papiers) aux passants à Paris. Nous sommes fiers, moins de notre travail, que de notre unité qui dépasse toutes cultures.
Notre scène, c'est la plaque gravée sur la dalle du Trocadero en 1987:
Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré. P. Joseph