Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte. Luc 8, 24






13 mars

Quelques paroles dont la plupart emprunte leur beauté à l'univers patient des bergers, des pêcheurs, des viticulteurs : voilà tout ce qui reste du passage sur terre du plus grand des poètes. Car c'est être poète que regarder la vie et la mort en face, et réveiller les étoiles dans le néant des coeurs. 
Christian Bobin, L'homme-joie

Comment vous livrer un peu de mon dernier périple sur ses pas en Galilée, à la veille du départ.
Depuis Taybeh jusqu'à Capharnaüm, nous nous laissons attirées par le bleu, tout confondu entre le lac de Tibériade et le ciel de Galilée. Et par sa poésie à chaque paysage. Simple et inépuisable.


Taybeh, Ephraïm. La ville refuge.



Les paraboles d'une maison palestinienne...
Aussi n'allume-t-on pas une lampe pour la mettre ensuite sous le boisseau, mais sur le pied de lampe ; et elle luit pour tous ceux qui sont dans la maison. (Matt. 5, 14-15)

En route vers le Nord, le long de la vallée fertile du Jourdain



Bains chauds de Gan Hashlosha


Mont Gilboa et ses fleurs sauvages



Nazareth.


 La fontaine où Marie reçoit une nouvelle : c'est sa confiance qui portera la Source.
Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. Jean 1, 14



 Cana.
1er miracle.


Faites tout ce qu'il vous dira. Jean, 2,5

Le mont des Béatitudes.
LA bonne nouvelle : la petitesse, route directe vers l'Amour.

 Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux. Matt.5, 3


Capharnaüm, au bord du lac chez tous ses amis.

Moi, je suis le pain de la vie, Jean 6







Il se fit un grand calme. Luc 8, 24





Les enfants sont comme les marins: où que se portent leurs yeux, partout c'est l'immense. Christian Bobin



Youssef


A la Crèche, nous retrouvons le grand air avec le printemps, et nos enfances fragiles et immenses, oui, n'en finissent pas de fleurir.

Depuis Noël, on a accueilli Tima, un bel éthiopien qui apprend l'arabe... bien plus vite que moi.
Houssam et Jamil, deux frères sortis d'une situation de grande précarité dans le camp de Deisheh de Bethléem... et enfin Rahma, trisomique, a été trouvée un soir de février à l'âge de quelques jours dans une rue de Jéricho.



Tima


Rahma


Houssam



Les 3 ans de Wissam



A l'âge de 6 ans, les enfants de la Crèche qui n'ont pas été accueillis ou ré-accueillis en famille, vont le plus souvent vivre au SOS children Village de Bethléem, jusqu'à la fin de leurs études. A la veille de mon départ, j'ai dû sauter au cou de Mama Faïda, rayonnante de ses 27 ans d'engagement à SOS, elle sera peut-être la mère de Célina, Fatma, Jamal... ? Elle est l'une de ces 14 magnifiques mamans palestiniennes de cette association internationale. 14 maisonnées accueillant 9 enfants chacune, Mama Faïda a aujourd'hui 39 enfants et une dizaine de petits enfants...




















A la fin des temps, Isaac et Ismaël se réconcilieront à Hébron. Rachi


Mosquée d'Abraham, Hébron



Trois semaines avant mon départ d'Israël, rencontre inespérée avec les Zalzberg, une famille juive de Jérusalem.
Trois semaines avant mon départ d'Israël, enfin je pousse un peu la porte sur l'autre côté du mur.

Le mur, ce n'est pas que ce bloc de béton froid enfermant la vie de la West Bank. Ce n'est pas que les grilles serrées de cette bétaillère qui "autorisent Jérusalem" aux familles de Bethléem. Le mur pour moi, c'est aussi le mystère de tous ces visages.De tous ces jeunes militaires armés aux airs convaincus et détendus, qui font taire et déchausser tout un peuple courbé au check-point 300.
Qui habite derrière ce mur-là ?

Chez les Zalzberg donc, on fête ce soir le début du shabbat et la fête du Pourim. Aude et moi sommes accueillies, attendues même, avec une simplicité et une chaleur intègres pour partager le festin. Pour partager cette belle tablée de 18 juifs de quatre générations, réunissant l'Orient et l'Occident dans leur famille. Le tronc s'enracine plutôt en Germanie, teintée de Roumanie par le papa, d'Irak par la belle-soeur, du Maroc par l'oncle, de la Suisse par la deuxième femme du grand-père...Chez les Zalzberg ce soir, à l'image de tout un peuple, c'est la joie des retrouvailles.La même qui a envahi tout à l'heure la synagogue. Des chuchotements et des rires d'abord, le temps du rassemblement et des premiers psaumes ; et puis ce jaillissement irrésistible, de louanges, de danses, de communion. C'est profond et joyeux. On célèbre l'Alliance, cette marche lourde, infinie et majestueuse, d'un peuple trop humilié, trop persécuté et si fidèle à la Vie.
Dans l'appartement neuf et moderne de Tante Poni, c'est pareil. Les enfants sautent sur les genoux de leur grand-père qui essaie de nous résumer la célébration du Pourim. Pour un juif dit "laïc", l'histoire est très bien connue, longue et précise; l'enfant lui chuchote même qu'il a oublié un épisode. Alors pour passer à table, Ofer nous éclaire enfin sur le sens de cette tradition : "bref, comme dans toutes les fêtes juives : on ne nous a encore pas eus, alors on se rassemble et on mange !" Tante Poni n'en finit pas d'apporter des plats et de surveiller nos assiettes vides. On me questionne sur les enfants de la Crèche, sur les raisons de ces situations. Je suis hésitante ; je revois les camps insalubres de Bethléem, le mur qui hurle, je ressemble à l'invitée venant conter un pays lointain...

Ce soir, 8 kilomètres et quelques heures plus loin, repassée de l'autre côté du mur, j'entends encore les coups de feu épars de cette guerre sourde qui résonnent au camp d'Aïda.
Mais quand donc ces deux frères se rencontreront-ils ?
A la fin des temps. A Hébron. Dit Rachi... Sur le tombeau de notre même père Abraham ?
Alors, peut-être, ne retrouve-t-on son frère qu'en retrouvant son Enfance la plus nue, la plus viscérale.
En retrouvant ce besoin sans fond, pas d'une terre à partager mais de notre Terre à tous : l'accueil sans fin d'un Père, le regard fidèle d'une Mère.


Soeur Elisabeth et Nur


En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant, n'y entrera point. Luc 18, 17.




Au camp de réfugiés de Dheisheh, 11 000 palestiniens.




Check-point 300



Prière juive devant la tombe d'Abraham













Un désert, c'est bien fait pour se rencontrer. J. Cagros





C'est Aude qui a fait avec moi le pas vers le désert.

Elle m'a rejoint depuis sa Normandie pour cette marche, partager cette soif insatiable d'un ciel plus large, d'un tout-Autre.
Une évasion, un silence, rien de connu déjà, nous desirons juste, comme toujours, se laisser attirer par un souffle infime, inespéré, et tracer des sentiers nouveaux.
Début de Carême dans le désert du Néguev.
On quitte Jérusalem par Jéricho, pour ensuite se confondre dans des aquarelles toutes pastels, le long de la Mer Morte.




Après une rude ascension avant les premières lueurs du jour, lever de soleil sur la mesa de Massada.
Entourées d'écoliers israëliens bruyants... Les couleurs, l'odeur, la brise silencieuse d'un matin où le monde entier peut se dévoiler dans mon coeur : je retrouve le parfum exact du Sinaï de mes 18 ans avec mon Arnaud.




"Ils ne nous auront pas vivants". L'histoire de Massada, suicide collectif de 1000 rebelles juifs (1er s. avant JC) devant leur défaite par les Romains, nourrit l'identité israëlienne d'aujourd'hui...




Devant le soleil levant, pourtant... j'ai en tête ce message pour les palestiniens criant sur ce mur qui les encercle, et que j'ai longé souvent ces 5 derniers mois.




La route vers le Sud nous fait traverser des petites villes neuves, quasi-sans relief, comme sorties miraculeusement d'une terre trop sèche. Tous ces colons vont au supermarché en jeep, un soda à la main. Deux choses me rappellent que nous ne sommes pas en Arizona : dans la rue, quelques bédouins coiffes d'un keffieh rouge et blanc. Sur les panneaux de signalisation, sur les menus... pas d'autre langue que l'hébreu.

C'est à Mitzpe Ramon que nous avons plongé dans l'immensité du désert et des ciels les plus étoilés du monde. Les monts du Néguev et le cratère époustouflant du maktesh Ramon.








Marcher dans le désert, quelle autre parabole pour dire nos vies ...
Les pieds lourds dans la poussière, on espère le prochain refuge ;
un arbre, une caverne pierreuse pour un repos toujours trop court, anodin.
Il faut déjà se relever, repartir. On n'a plus le choix que de rester en marche. Que de chercher cette source dont notre intuition parfaite s'exprime à chaque instant, par nos châteaux de sable.
Et on ne peut plus s'émerveiller que d'une petite fleur trop fragile sortie d'une terre brûlée comme d'un miracle.

C'est Carême, marchons confiants. Nos oasis sont trop souvent des mirages et la Source coule, joyeuse, éternelle.










Nasser...



24 février 2013

Nasser est la plus belle vie de sa maman.
Un miracle au fond des pesanteurs de la Crèche.
Mon Noël le plus vivant.
Il est mort la nuit dernière.

En manque d'hémoglobine, anémique, cardiaque, dépressif, "il n'a jamais voulu vivre", répète Soeur Elisabeth. Je ne la crois pas. J'ai encore ce sentiment que Nasser attendait la vie. N'espérait rien que la vie.
Même ce petit corps de 10 mois, emmailloté nonchalamment dans un drap blanc, entouré des soeurs graves, des nurses sanglotant, même Sihame notre femme de ménage musulmane expirant pour nous tous des prières coûte que coûte, à bout de souffle. Découvrir ce tout petit corps froid nous provoque avec une violence inouïe à devenir enfin des vivants.
Mais ce qui m'est mortifère, écrasant, c'est comment l'homme s'acharne de toute sa vie à inventer la mort. C'est comment cette mère se précipite, désespérée, depuis Naplouse à la Crèche, escortée par la police, en danger de mort pour un dernier au-revoir à son fils. Cet au-revoir lui sert aussi de retrouvailles interdites. Sihame ne s'arrête pas de prier, et les joues gelées de Nasser recueille les larmes et les cris de sa mère.
Nahila. Répudiée d'un premier mariage pour stérilité apparente, elle donne vie à Nasser avec son cousin. Sa famille déjà la menace de mort, elle doit l'épouser en jurant sur la Coran qu'elle renoncerait à tout contact avec son fils tant désiré. Soeur Elisabeth raconte que c'est le jour de ce serment que Nasser a fait son premier arrêt cardiaque.
Cette maman, dans un village d'extrêmistes près de Naplouse, risquait la mort autant par ses voisins que par sa propre famille. Elle s'était lancée, envers et contre tout, dans une procédure pour redevenir la mère de son enfant.
Ce soir, à l'heure où j'écris ces mots beaucoup trop effroyables, Nahila est-elle une femme lapidée ou suicidée...

Nasser a cédé à l'attente. Il n'a pas cédé au désir de mourir. Il a cédé à l'épouvantable misère de l'homme. Lui et sa mère, comme nous tous, victimes d'une façon ou d'une autre de nos prisons les plus tragiques.
J'écrivais à Noël, qui d'autre que cet enfant à l'hôpital pour me parler de Lui? De cette vie qui appelle la Vie. Ce soir, en chemin vers Pâques, accablée de dégoût et de haine, je ne veux plus entendre le muezzin, je ne veux plus croiser toutes ces femmes voilées... Mais qui d'autre que Nasser pour me dire qu'une brise d'amour sans fin et glorieux porte nos ignominies les plus abyssales sur une pauvre croix.

Nasser. Exprimer ainsi à 10 mois le refus de la non-vie, n'est ce pas être un Plus Que Vivant.





 

Tu es restée fidèle, mère au pied de la Croix... Soutiens notre espérance et garde notre foi.



Aujourd'hui, Soeur Elisabeth s'est mise à me raconter le couvre-feu de 17 mois, imposé par l'Intifada de 2001.
Les feux sortaient des deux rues autour de la Crèche... aucun dégât, la Vierge a tout pris.

la Vierge de la Crèche, 2002

Soeur Sophie avait l'habitude de faire croire aux enfants qu'il s'agissait d'un grand mariage, célébré traditionnellement ici par des coups de mitraillette ! Pourtant les enfants vomissaient de peur la nuit. Certains soirs, les coups de feu étaient si fort et si près, que c'était plus sûr que tout le monde dorme dans le grand couloir. Un soir, un enfant a demandé qui pouvait bien se marier comme ça, aussi fort... Soeur Sophie de répondre franco : c'est le mariage de Sharon et Arafat ! Tous les enfants se sont exclamés de leurs "Bravo ! Bravo!" imaginant une belle mariée poudrée comme ils aiment...


Ma maman à moi, elle vient demain...




Wissam va avoir 3 ans dans 2 semaines.
Sa mère, prostituée, est venue pour la dernière fois le jour ses un an, signer l'acte d'abandon.

Hier, Wissam s'appliquait à rouler des petites boules de pâtes à modeler dans ses paumes quand il a vu passer Tima dans les bras de sa maman. Sans se déconcentrer, il nous a confirmé que sa maman à lui viendrait demain.
Il m'a semblé qu'il savait. Que cette chimère l'aidait tout de même à vivre.
Muets, lui et moi de gravité, il aura de toute façon deviné l'inconsolable dans mon silence.

Aujourd'hui j'ai passé autour de mon cou un large médaillon de la Vierge à l'enfant, reçue à Noël. Il est tombé sur le nez de Wissam quand j'ai voulu embrasser son front. Il l'a attrapé, l'a regardé un instant et l'a embrassé religieusement.
"C'est la maman de tous les enfants", ai-je dit bêtement comme une confirmation de ce qu'il venait d'aimer si spontanément.
"Mama ?"... Ses petits yeux toujours trop brillants sont comme venus se blottir dans les miens, sûre de ma foi.

Il avait bien dit qu'elle viendrait demain.
C'est Wissam. Et le génie de ses 3 ans en croix.
La fraîcheur et la douceur d'un rire éclaboussant toutes nos ombres.
Et une solitude si parfaite qu'un enfant de 3 ans ne peut porter que comme un prophète.