Nasser...



24 février 2013

Nasser est la plus belle vie de sa maman.
Un miracle au fond des pesanteurs de la Crèche.
Mon Noël le plus vivant.
Il est mort la nuit dernière.

En manque d'hémoglobine, anémique, cardiaque, dépressif, "il n'a jamais voulu vivre", répète Soeur Elisabeth. Je ne la crois pas. J'ai encore ce sentiment que Nasser attendait la vie. N'espérait rien que la vie.
Même ce petit corps de 10 mois, emmailloté nonchalamment dans un drap blanc, entouré des soeurs graves, des nurses sanglotant, même Sihame notre femme de ménage musulmane expirant pour nous tous des prières coûte que coûte, à bout de souffle. Découvrir ce tout petit corps froid nous provoque avec une violence inouïe à devenir enfin des vivants.
Mais ce qui m'est mortifère, écrasant, c'est comment l'homme s'acharne de toute sa vie à inventer la mort. C'est comment cette mère se précipite, désespérée, depuis Naplouse à la Crèche, escortée par la police, en danger de mort pour un dernier au-revoir à son fils. Cet au-revoir lui sert aussi de retrouvailles interdites. Sihame ne s'arrête pas de prier, et les joues gelées de Nasser recueille les larmes et les cris de sa mère.
Nahila. Répudiée d'un premier mariage pour stérilité apparente, elle donne vie à Nasser avec son cousin. Sa famille déjà la menace de mort, elle doit l'épouser en jurant sur la Coran qu'elle renoncerait à tout contact avec son fils tant désiré. Soeur Elisabeth raconte que c'est le jour de ce serment que Nasser a fait son premier arrêt cardiaque.
Cette maman, dans un village d'extrêmistes près de Naplouse, risquait la mort autant par ses voisins que par sa propre famille. Elle s'était lancée, envers et contre tout, dans une procédure pour redevenir la mère de son enfant.
Ce soir, à l'heure où j'écris ces mots beaucoup trop effroyables, Nahila est-elle une femme lapidée ou suicidée...

Nasser a cédé à l'attente. Il n'a pas cédé au désir de mourir. Il a cédé à l'épouvantable misère de l'homme. Lui et sa mère, comme nous tous, victimes d'une façon ou d'une autre de nos prisons les plus tragiques.
J'écrivais à Noël, qui d'autre que cet enfant à l'hôpital pour me parler de Lui? De cette vie qui appelle la Vie. Ce soir, en chemin vers Pâques, accablée de dégoût et de haine, je ne veux plus entendre le muezzin, je ne veux plus croiser toutes ces femmes voilées... Mais qui d'autre que Nasser pour me dire qu'une brise d'amour sans fin et glorieux porte nos ignominies les plus abyssales sur une pauvre croix.

Nasser. Exprimer ainsi à 10 mois le refus de la non-vie, n'est ce pas être un Plus Que Vivant.