Mai 2012

L'Arche m'a tout juste éveillé à ce que signifie la dignité de toute personne humaine.
Je sais que je n'aurai pas assez d'une vie pour lever vraiment ce voile; sur tous ces autres si étrangers, qui faisaient ce petit décor exotique et enivrant tournant autour de mon nombril, et permettait de m'inventer. Aujourd'hui, il devient enfin une réalité, des vies à prendre soin, des membres du Corps fragile, dont je dois moi aussi réaliser ma place, unique, sacrée et ... responsable.
Mon expérience à l'EHPAD m'a confirmé dans ce sens comment le professionnalisme et l’éthique de l'Arche m'avait aiguisé le regard. J'avais rarement été choquée de tant de manques de bien-traitances, amassées dans un même établissement dit médico-social.
Disons que j'ai travaillé dans un mouroir, un système où s'organisent les fins de vie, une usine de "changes complets" ; où tout le personnel s'agite et s'épuise à essayer de donner les soins minimum.
Je peux confirmer Soeur Emmanuelle qui dirait qu'il y a plus de joie sur les ordures du Caire.

J'arrive un dimanche matin pour une "doublure", mais comme nous sommes 4 aides-soignantes pour 80 résidents, on me propulse dans un couloir, aux manettes d'un chariot de matériel inconnu, et j'apprends les toilettes intimes des résidents par téléguidage avec les plus anciennes...
Cette anecdote résume mes 3 mois.
Je reviens souvent le dos cassé et surtout avec cet horrible sentiment de n'avoir pu satisfaire des besoins élémentaires de bien-traitance.

Je laisse maintenant la petite Alma Odilon-Leonardoni plaider pour nos anciens.
"Je demande la hausse réelle du personnel dans les établissements que bien-être et traitements respectueux ne soient plus des services qui se monnayent mais soient accessibles à tous. (...) Je demande la dignité."


http://www.youtube.com/watch?v=bWb5U2dsJLc

Sinon...

J'ai eu la chance de rencontrer Monsieur Terrien.
Il ressemblait à Jean Carmet; il chantait autant qu'il râlait, sans vraiment s'en rendre compte. Il avait perdu sa femme, sa seule fille, et son seul frère de... "euh... vous savez bien, la maladie à la mode..." Il a mis quelques jours avant de la retrouver...
Alzheimer.
Il m'avait fait une déclaration d'amour inoubliable, très solennelle, alors que je lui changeais sa poche urinaire!
"Vous ne direz à personne que je vous ai aimé."
Il est mort tout seul. Je veux dire, mort et enterré tout seul.
Les résidents parlaient du décès de quelqu'un du bout des lèvres, au moment des repas, quand ils voyaient la place vide.

Aussi, j'ai rencontré Madame Dralez, qui répétait: "Mais quel cauchemar cet endroit..."
Mon premier jour, pour m'accueillir : "Mais foutez le camp le plus vite possible, vous! En plus, la nourriture est infecte!"
Elle écarquillait les yeux de surprise quand je commençais à lui raconter ma vie...Tellement qu'elle arrêtait de se lamenter. Le soir où j'allais rentrer au Donnet pour les 70 ans de Papa, elle m'a fait passer pour lui une boîte de financiers (ses préférés)!

Aussi j'ai rencontré Madame Moulet.
Incroyable.
Malgré ses millions de rides, elle a tout du tout petit-enfant : la force physique, la tête qui tombe, les membres gesticulant, et surtout, le regard s'éveillant et riant à toute vie s'agitant autour de son fauteuil. Elle fredonne souvent des petits restes de "Je vous salue Marie". Quand j'approchais d'elle mon visage, elle s'exclamait "Oh qu'elle est mignonne la petite fille!!"... ou parfois écarquillant les yeux "et vos enfants, comment vont-ils?"
Sa démence et sa fin de vie semblent un continuel état de grâce.

Bon je vous rassure, pour Madame Le Noc, j'étais "une lambine... et pas très dégourdie en plus!"

Mon meilleur souvenir reste bien sûr le jour de mon passage avec les amis de l'Arche.

Donc, j'en profite pour vous poster LA photo de Jean avec Madame Moulet, dans le dos de la directrice ; car si c'est comme ça qu'elle respecte le droit à une vie sociale pour ses usagers, moi je m’assois sur le droit à l'image!