Chemins de sabbat: L'ancien Carmel de Condom

Nada te turbe, nada te espante...

Que rien ne te trouble, que rien ne t'effraie,

qui a Dieu ne manque de rien.

Que rien ne te trouble, que rien ne t'effraie,

Dieu seul suffit.

Thérèse d'Avila, carmélite XVIè

Pour ceux qui, comme Laurianne, croient encore que j'ai fait un postulat chez les carmélites... Je rappelle que l'ancien Carmel porte un projet de vie collective dont l'originalité attisait ma curiosité. Une vie communautaire qui ne s'appuie pas sur une dimension spirituelle exprimée... Un lieu qui provoque la proximité entre des personnes qui n'ont pas l'habitude de s'approcher... Un projet qui pourrait inspirer mon rêve d'un petit lieu de fraternité, de rencontres, où l’accueil touristique et l'art s'y mêlent...

Le Carmel de Condom est comme un écrin qui saurait recueillir ici au fond du Gers tous les rêves de paix et de simplicité, d'où que l'on vienne...
Il y a les centaines de pèlerins de Compostelle qui passent la majestueuse porte du Carmel et sentent immédiatement la magie d'un lieu sacré que des nouvelles âmes ressuscitent.
On croise dans le cloître le regard troublant de Michel, les savates traînant éternellement son dos cassé, et très vite, il vient confier que ce lieu est pour lui le "paradis" depuis l'HP de Clermont-Ferrant. L'humour fin mais parfois un peu trop cash dérange parfois le pèlerin (qui a tout de même payé sa demi-pension...) alors il s'en excuse en acclamant la définition de sa maladie psychique! C'est un poète mélancolique, un philosophe hyper cultivé, passionné de baroudages solitaires du côté de Pondichéry. Vous devinez comment j'ai aimé rejoindre son humour et son esprit, il est devenu le premier jour mon meilleur ami ici. Le midi, on chantait le duo Céline Dion- Bee Gees à la plonge, et le soir, il m'accompagnait à la messe pour aller parler à la petite Thérèse, bien qu'il ait depuis longtemps "perdu la foi"... (comme ça, d'un coup!)

Miiiiiitch! Pilier de cloître...

Donc, il y a les résidents du Carmel, aux vies aussi chaotiques que passionnantes.
Le beau jardinier algérien Kheiridinne vit au Carmel avec le statut de compagnon d'Emmaüs, en attente de régulariser sa situation en France.
Avec lui, j'ai appris mes premiers basiques d'arabe (leçons 2 fois par semaine), avec David j'ai appris comment braquer proprement une banque.
David Lafraise est pour moi la personne qui symbolise le mieux le coeur de l'ancien Carmel. Depuis la galère de la rue, les braquages, la tôle, où il a rencontré le Christ mystérieusement, je vous passe l'incroyable biographie de David que vous trouverez dans Papa, maman, la rue et moi, dont le n°2 sort bientôt.
http://www.amazon.fr/Papa-maman-rue-moi-sans-domicile/dp/228361094X
Il est le coeur du Carmel parce que depuis le début du projet, David s'est frayé ici un chemin d'évidente reconstruction. Il s'est passionné pour l'accueil des pèlerins, qui lui amène le rêve des grands sentiers et le monde entier à sa porte. il est devenu un maître d'hôtel incomparable, connu dans tous les gîtes jusqu'à Saint Jean Pied de Port. Il est aujourd'hui salarié à l'accueil de l'Ancien Carmel. Il peut dire sans détour "l'accueil des pélerins est ma vie aujourd'hui. Sans le Carmel, je replonge direct."
Même à jamais très fragile, le chemin est là, tracé, comme l'empreinte de l'espoir toujours possible et donc éternellement conquis.

David Lafraise, tête de bandit au coeur fruité!*

Il me confiait peu avant mon départ son rêve de rencontrer Tim Guénard, dont le parcours de galères et de foi le rejoint évidemment de près. Bien sûr, comme Tim, David aurait un jour à transmettre son expérience aux jeunes cassés d'aujourd'hui.
Je voudrais écrire un pamphlet pour chaque habitant du Carmel, mais je vous en épargne; au Carmel il y a aussi des groupes divers, CHRS, maison-relais, centre d'aides pour les gens de la rue, qui viennent pour une semaine, respirer les blés du Gers, et travailler à un chantier et à la vie collective. C'est ainsi que j'ai pu par exemple perfectionner mes dons de menuisière en aidant des SDF du 94 à construire les toilettes sèches du Carmel :

Bon, ça suffit, je n'ai pas fait que bricoler et papoter au Carmel, j'ai aussi réfléchi un peu... questionné beaucoup, puis contesté...à fond!
Au Carmel, pour presque 2 mois, je m'étais engagée à soutenir le projet en mettant la main à la pâte ici ou là et surtout aider à faire des ponts entre les résidents et les gens de passage sur mes petites entreprises (accueil, animations, déco, aménagements ...)
Très vite, je me suis aperçue de l'impasse...
J'ai été frappée souvent par l'intelligence des résidents et leur désir d'être acteur de leur vie, malgré et au-delà de leurs difficultés "sociales", et combien ils ne se sentaient pas toujours proprement écoutés. L'Ancien Carmel avec toutes les richesses de son projet, n'est pas une structure sociale, mais un ensemble de logements privatifs, gérée par une association, dont le but est de construire un modèle d'économie solidaire. Celui-ci supposant une vie collective et participative des locataires, permettant l'accueil des gens de passage, qui par réciprocité financière, leur permettent d'accéder à des loyers adaptés à leurs ressources.
Le règlement intérieur demande donc aux résidents de participer au projet à travers un engagement aux multiples tâches liées à tout ce que suppose un lieu communautaire et d'accueil touristique. Là encore, la vision communautaire que l'Arche m'a enseignée m'a fait resssentir rapidement un manque ici de sens profond. Je ne parle pas de philosophie universitaire, mais de ce qui nourrit une aspiration personnelle à vivre avec les autres, et qui permet de dépasser les contraintes (et il y en a beaucoup!) et donc de se sentir grandir individuellement. La vocation du Carmel m'est toujours restée un peu mystérieuse. Un "lieu de diversité et de rencontres"... Oui mais pour quoi? Je crois bien que personne ne le sait, et le plus triste a été de comprendre que le sens de cette question n'avait pas de poids, alors qu'il est justement le grain de sel manquant à la vie et l'avenir de ce projet.
Aujourd'hui les résidents ressentent avec de plus en plus de difficulté et d'amertume combien ils servent à l'image d'un projet mercantile de toursime solidaire, sans que l'on s'intéresse vraiment à leurs aspirations... Un groupe d'hommes orientés vers le succès d'une culture solidaire nouvelle mais où, ironiquement, l'individu même n'en est plus le coeur et perd finalement sa valeur.
Je vous écris cela avec beaucoup de forme, et sans les anecdotes les plus abherrantes; ce que je voudrais vous exprimer dans ce très court rapport, dont la direction a eu la version longue... c'est que faudrait p't-être pas prendre les gens pour des c...!!

Les hommes d'aujourd'hui cherchent avec évidence des bases nouvelles de "vivre ensemble".
L'ancien Carmel a ce noble idéal d'innover un modèle de lieu de vie et d'accueil solidaire, porté par des valeurs humanistes.
Mon expérience à l'Arche, celle qui demande d'accueillir ce petit qui est d'abord en moi pour réellement pouvoir accueillir l'autre, cette expérience, fondatrice dans mes convictions, m'oblige à me questionner comment les valeurs actuelles de solidarité (sociale, économique, réciprocité imposée) peuvent oeuvrer en profondeur et durablement dans les coeurs, sans la conscience d'un désir commun ancré dans notre humanité? ...
Mystère.

Pour conclure, je me suis franchement délectée cet été de rencontres très inspirantes, à manger du confit de canard, et à me déguiser en pèlerine de l'époque des mousquetaires... mais sur le social et la solidarité, j'avoue que je n'ai pas trouvé grand chose. Pourtant c'est bien au Carmel, que s'est éclaircie la suite du périple...

Mon album souvenir ...